La polarisation politique consiste à se regrouper selon des opinions ou des valeurs communes, et (souvent) à rejeter ou à mépriser ceux qui ne partagent pas ces opinions ou ces valeurs. En soi, le phénomène est ancien, et peut même être considéré comme faisant partie du fonctionnement normal d'une société démocratique. Ce qui change, c'est que ça devient de plus en plus un dialogue de sourds. Chacun se retranche dans sa bulle idéologique, et refuse d'écouter ou de comprendre les arguments des autres. Il semble n'y avoir plus de dialogue possible, ni de consensus possible.
Plus important, il semble même ne plus y avoir d'accord sur les faits ou sur ce qui constitue la réalité objective. On a tous des exemples en tête de discussions difficiles - pensez "vaccin" ou "réchauffement climatique" ou "genre" ou "guerre" ou, ou, ou - durant lesquelles la discussion ne concerne pas les choix politique ou leurs conséquences, mais bien le point de départ, la notion même. Dit autrement, la discussion ne porte plus sur l'interprétation des faits et des données, mais bien sur les faits et les données et plus encore sur la réalité même de ceux-ci.
On pourrait dire que chaque camp politique vit dans son propre monde parallèle et c'est la définition même du multivers. Chaque groupe politique vit dans son propre univers, avec sa propre réalité, ses propres faits et ses propres normes. Ces univers sont parfois en contact, mais souvent en conflit. Chacun s'enferme dans sa bulle idéologique, qui nous conforte dans nos convictions et nous isole des opinions divergentes. Chacun devient ainsi un observateur privilégié de son propre univers, et ignore ou méprise les autres observateurs.
Nous sommes passés d'un monde avec quelques grands médias qui faisaient autorité et qui diffusaient une information relativement neutre et vérifiée - pas exempte de biais mais avec des mécanismes de contrôle et de correction - à un monde de sites web, de blogs, de podcasts, de réseaux sociaux, de chaînes YouTube. Ce nouveau monde a permis une remise en question nécessaire et drastique des médias traditionnels et de la diffusion de l'information, mais a pour effet pervers de créer ces bulles qui renforcent nos préférences et confirment nos biais. Nous nous exposons moins à la diversité des points de vue, ce qui réduit notre capacité à dialoguer et à comprendre les arguments opposés.
Au lieu d'avoir une source d'information commune et partagée, nous avons accès à une multitude de sources différentes, souvent contradictoires, parfois fausses ou faussées. Et petit à petit, nous nous enfermons ainsi dans des réalités alternatives, où nous ne voyons que ce qui nous arrange et nous conforte dans nos convictions. Bref, le multivers.
C'est un phénomène dangereux et insidieux, qui menace littéralement la démocratie en ce qu'elle s'attaque à son fondement, la cohésion du peuple. Il faut résister à cette tentation du multivers et retrouver le lien avec la réalité commune et avec les autres. La politique n'est pas une guerre, mais un débat d'idées, où chacun peut apporter sa contribution et son point de vue.
Je ne vois pas de solution miracle, mais prendre conscience de ce phénomène et le combattre me semble un bon point de départ. Il faut être vigilant face aux sources d'information que nous consultons, en vérifiant leur fiabilité et leur objectivité. Il faut aussi être curieux et ouvert aux opinions différentes, en cherchant à les écouter et à les respecter, même si elles nous dérangent ou nous choquent. Il faut enfin être humble et reconnaître que nous ne détenons pas la vérité absolue. Car après tout, nous ne vivons pas dans des univers parallèles, mais dans un seul.